Occupations et séquestrations, le temps long de la mémoire ouvrière.

Publié le par CNT Supérieur Recherche 87

       
Article dans le Barricata n°19 été 2009

La séquestration et l'occupation sont deux formes d'action directe employées par les travailleurs depuis plus d'un siècle.

Depuis quelques mois, les séquestrations de cadres ressurguissent avec force. Homme spolitiques et représentants du patronats hurlent au retour de la Terreur et du bolchevisme, en passant par les khmers rouges ! Propagande grossière. Quitte à convoquer l'histoire, ces formes actuelles de la lutte sociale gagnent plus à être comparées aux occupations d'usines qui apparaissent lors de la III° République. On constate alors la réactivation d'une pratique ouvière née au lendemain de l'écrasement de la Commune et qui s'épanouit lors du Front Populaire. Pas mal pour une classe ouvrière qu'on disait moribonde et sans repères, convertie au libéralisme.

L'occupation du lieu de travail répond à plusieurs impératifs: constituer un piquet de grève pour débusquer les "jaunes" et surtout s'approprier son lieu de souffrance et d'oppression, prendre une revanche symbolique, ce que résume Simon Weil, en juin 1936: "Il s'agit, après avoir tout subi, tout encaissé en silence pendant des années, d'oser enfin se redresser. Se tenir debout, prendre la parole à son tour. Cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure. Une joie sans mélange. Joie de parcourir librement ces ateliers où on était rivé sur sa machine. On se promène parmi ces machines auxquelles on a donné pendant tant et tant d'heures le meilleur de sa substance vitale et elles se taisent."

               

Dans ces conditions festives, dans cette zone autonome temporaire, l'encadrement et la maîtrise n'ont plus leur place. Ils sont le plus souvent interdits d'usine, ou s'ils y rentrent brièvement, doivent passer sous les fourches caudines des grèvistes: "joie de passer devant les chefs la tête haute, de les voir se faire familier par force, serrer des mains, renoncer complètement à donner des ordres. Joie de les voir attendre docilement leur tour pour avoir le bon de sortie que le comité de grève consent à leur accorder".
Si la grève est victorieuse, nul besoin de séquestrer patrons, cadres ou contremaîtres. L'occupation de l'usine n'est pas un désordre mais un ordre alternatif et éphémère, plus juste et plus respectueux de l'adversaire de classe que ne l'est l'oppression patronale.
Mais au début de la III° République, vers les années 1880, le rapport de force tourne rarement à l'avantage des grèvistes. Lorsque la lutte se fait violente, que la spirale répressive s'enclenche (briseurs de grèves, lock-out, envoi de la troupe) les ouvriers-ères se rendent parfois en cortège jusqu'à la demeure du patron pour rendre coup pour coup.
                                                                                               
   
Au XIX siècle, cela semble assez aisé. Dans le cadre d'un capitalisme paternaliste (parfois presque féodal) le patron vit souvent près de l'usine. Dans ces véritables jacqueries urbaines, les grèvistes pénètrent le spropriétés et les mettent à sac, comme à Carmaux en 1869 au château du marquis de Solanges. Mais le plus souvent, ils n'atteignent pas le maître, et doivent se contenter de détruire le pavillon du gardien, tel à Roubaix en 1890. Plus fréquement encore, les gendarmes interviennent avant que la propriété ne soit forcée. Les manifestant-es en sont réduits à casser quelques vitres, signifiant ainsi qu'eux aussi peuvent porter la lutte jusque dans l'intimité de l'ennemi de classe. Le patron semblant difficile à atteindre, cadres et contremaîtres sont le sprincipales cibles. Le plus célèbre d'entre eux esy l'ingénieur Watrin, intermédiaire impitoyable de la politique patronale à Decazeville, séquestré puis défenestré en 1886. La mort de Watrin reste exception dans les luttes coailes, mais dans le monde ouvrier, et pour d elongues années, le verbe "watriner" se conjugue à tous les temps, promesse de vengeance qui ne se traduit pas acte, tout au plus à quelques impudents et imprudents chefaillons s'aventurant dans l'atelier reconquis sans en avoir assimilé les nouvelles règles.

         

Comparons ces occupations d'antan à celles d'ici et maintenant. Si les occupants de Continental et de Caterpillar, de Molex et d'ailleurs, font preuve de la même déterminatio,; de la même capacité à s'auto-organiser, et donnent toujours une leçon de dignité, un autre point troublant apparait: que ce soit à l'époque du paternalisme ou à celle de l'actionnariat mondialisé, le décideur est difficile à atteindre. Quelque soit la proximité géographique, le système rend l'élite capitaliste quasi-inaccessible. Alors, faute d emieux, la pression s'exerce sur les sous-fifres, ingénieurs imbus de leur connaissance et chefs d'équipes autrefois, directeurs et DRH arrogants aujourd'hui. Mais, différence de taille, les occupations présentes apparaissent moins violentes.
Aucun coup n'a été porté sur les séquestrés. La seule violence que les grèvistes assument est symbolique, et prendre l'allure d'une pédagogie par le fait. Contraindre le cadre sur son lieu de travail, lui interdire une liberté de mouvement, le mettre sous pression, ne pas écouter se splaintes c'est lui faire éprouver ce que c'est que la condition ouvrière. Mais eux ne connaîtrons cette pression que le temps d'une séquestration, ainsi que l'affirmait l'un des ovuriers de Caterpillar à la sortie du tribunal.
Dernière différence, elles sont aussi moins festives qu'elles ne l'étaient lors de la "Grande dépression" des années 1880 ou pendant l'espoire de juin 1936.
Qu'en déduire, sinon que la colère gronde ?

Publié dans Théorie et histoire

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